Carte Wikipédia
Carte Thierry Puyfoulhoux
Tuscany islands Trip
05th to 12th of july 2010
Montecristo
Mercredi 07 juillet, mer belle, vent variable 1 à 2 Beaufort, après 23 milles nautiques de traversée depuis l’île de Giglio, nous approchons des côtes de l’île de Montecristo.
Venu de Corse , un ferry surgit à grande vitesse de l’horizon ouest, passe devant nous et longe les falaises du sud de l’île au plus près avant de faire route vers les côtes continentales italiennes.
Il nous reste encore 5,5 milles nautiques a parcourir avant d’atteindre la cala Maestra où nous devons débarquer. Ce sera la plus longue étape de notre voyage toscan.
Cette date du 07 juillet, il a fallu la fixer plusieurs mois auparavant, lors de nos discussions préparatoires avec les autorités italiennes du Parco nazionale Arcipelago Toscano, qui gèrent cet immense espace naturel. Planifier avec autant de précisions et aussi longtemps à l’avance des dates d’arrivées relève pour des navigateurs d’une véritable gageure. Aussi, c’est avec beaucoup d’émotion que nous approchons au jour dit de la plage de sable blanc de la cala Maestra.
Après une traversée si longue et exposée, apercevoir des maisons lovées dans le vallon étonnamment arboré qui prolonge la plage est une bénédiction. A peine avons nous le temps de tirer nos kayaks sur la plage que les gardiens de l’île, Giorgio et Lucciana, accompagnés d’une amie, viennent à notre rencontre. Deux gardes forestiers armés du Corpo Forestale dello Stato veillent sur l’île également une partie de l’année et interdisent tout débarquement aux personnes non autorisées. Notre arrivée étant prévue de longue date, et ayant en notre possession toutes les autorisations nécessaires à notre séjour sur l’île nous les rencontrons bientôt. Leur accueil très formel nous fait un instant craindre le pire pour la continuation de notre voyage. La carte d’identité de Thierry, contrôlée avec le plus grand zèle, est en effet périmée.
Avec l’aide amicale de Giorgio et l’appui de la photocopie du passeport de Thierry, conservée par chance dans un kayak, nous parlementons longuement avec le chef des gardes qui nous accorde finalement comme une faveur la possibilité de passer la nuit sur l’île. Au vu de l’éloignement des lieux et de l’absence de passage de navires qui auraient pu nous embarquer ( pour aller où ? ) il n’aurait pu de toute façon en être autrement.
Ce jour là, d’autres visiteurs sont également autorisés à passer la nuit sur un voilier amarré au petit môle de la cala Maestra. Ils nous demandent où se trouve notre bateau accompagnateur et il faut un peu insister pour leur faire admettre que nous ne sommes que quatre kayakistes naviguant en autonomie.
Sur Montecristo, comme sur l’ensemble des îles de l’archipel toscan, les bivouacs sont interdits. Nous avions convenus avec les autorités du parc de dormir dans la maison d’hôte de l’île et Lucciana nous montre bien vite nos chambres. Se reposer à l’ombre , dans la fraîcheur d’une maison ancienne après avoir pris une douche est un luxe merveilleux que nous apprécions.
L’après-midi passera bien trop vite à notre goût. Nos hôtes nous font visiter la Casa Reale et ouvrent pour nous le petit musée de l’île qui contient des collections naturalistes. Le jardin méthodiquement entretenu par Giorgio, qui est ingénieur agronome de formation, est merveilleux.
Impossible d’avoir accès au réseau de téléphonie mobile sur l’île, nous n’aurons donc pas accès au sms qu’une de nos amie, Cécile, nous envoie chaque jour avec les prévisions météorologiques du lendemain. Giorgio mettra sa connexion Internet à notre disposition pour prendre connaissance du bulletin météorologique.
Mais pour l’instant il n’est pas encore temps de partir. Nous offrons à nos hôtes une bouteille de vin de France. Ils nous invitent à partager, sous la tonnelle proche de leur maison, leur repas du soir. Nous mangerons, préparées par Lucciana, les pâtes al dente les plus remarquables qui soient et boirons un délicieux vin blanc accompagné de fromage. Pour le dessert c’est avec quelques crêpes confectionnées avec les œufs et le lait en poudre transportés dans l’un de nos kayak que nous apporterons notre contribution à ce repas collectif.
Il aurait fallu ne pas dormir cette nuit là pour profiter de chaque seconde passée ici et savourer les vibrations de la nuit sur cette île aussi éloignée de toute terre habitée, aussi préservée et aussi difficile d’accès pour des kayakistes. Le sommeil nous enveloppera cependant bientôt dans un silence et une quiétude impressionnants.
08 juillet , 08 h 00 du matin, cala Maestra, nous donnons nos premiers coups de pagaie en direction de l’île de Pianosa, notre prochaine étape, distante de 18 milles nautiques. L’un des deux gardes forestier est là, sur la plage, pour nous voir partir ; Giorgio et Lucciana et leur amie française également , qui se sont déplacés pour nous saluer. Leur accueil si généreux et les échanges que nous avons pu avoir avec eux – si amoureux de leur île, si intègres - resteront pour nous un moment inoubliable de ce voyage, et sans aucun doute de notre vie.
Semblant parfois oubliés de leurs autorités de tutelle, n’ayant pas perçu de salaire pendant plusieurs mois et sans contrat de travail à long terme, nous ne pouvons que souhaiter que les autorités gestionnaires de cet espace merveilleux mesurent enfin à leur juste prix la qualité du travail de Lucciana et Giorgio , seuls habitants permanents de cette île, et reconnaissent celui-ci à sa juste valeur.
Préparatifs
Tout le mérite de l’idée de cet itinéraire qui joint les sept îles de l’archipel toscan revient à Thierry P.
Situé en Méditerranée, entre les côtes septentrionales de la Corse et les côtes italiennes , une des particularités de cet archipel réside dans l ‘éloignement entre elles des sept îles qui le composent. Cet éloignement explique la diversité des milieux naturels rencontrés et les utilisations si diverses faites par les hommes de ces îles.
Une fois le parcours défini, plusieurs mois d’échanges de courriers ont été nécessaires pour expliquer notre projet à la direction du parc, obtenir les autorisations d’accéder aux îles de l’archipel et en particuliers à certaines d‘entre elles.
Des sept îles qui forment le parc national, trois sont soumises à une réglementation extrêmement stricte. Montecristo bien sûr mais également Pianosa sont surveillées par le Corpo forestale delle stato. Gorgona, qui abrite une prison en activité, est surveillée par les fonctionnaires du ministère de Grazia e Giustizia.
Les autres îles, Giannutri, Giglio, Elba, et Capraia sont quant à elles d’un accès plus aisé, même si d’importantes restrictions de navigation demeurent , sauf autour de l’île d’Elbe.
Après avoir constitué un imposant dossier, modifié notre parcours initial pour ne pas avoir à naviguer dans les zones interdites et signé une décharge de responsabilité, nous avons finalement obtenu de la Directrice du parc l’autorisation générale d’accoster et de passer la nuit sur les îles. Il a ensuite été nécessaire de contacter les diverses administrations locales.
Une fois partis, nous étions finalement en règle pour tout ce qui relève de l’accès aux îles mais totalement en marge de la réglementation italienne relative à l’éloignement des kayaks de mer d’un abri ( et de la réglementation française également.)
Lors de notre périple, nous avons été approchés à deux reprises entre l’île d’Elbe et Capraia par des navires officiels. Les vedettes rapides des Douanes italiennes, capables d’atteindre 70 nœuds selon un des marins du bord, transportaient une équipe de la TV italienne en reportage et se sont simplement approchées de nous pour filmer. Quant à la vedette des Carabinieri, elle s’est approchée également pour nous signaler notre situation non autorisée à cette distance des côtes. Nous avons répondu en français et la vedette est repartie.
Il va sans dire que seules des conditions météorologiques favorables, avec un vent faible et une mer belle, ont pu nous permettre de réaliser l’enchaînement des huit étapes prévues. Nous avions choisi de naviguer au début de juillet, période statistiquement peu ventée dans la zone et les prévisions reçues par sms n’ont donné lieu à aucune discussion entre nous sur l’opportunité ou non de partir, ce qui a réduit au minimum les tensions pouvant résulter de ce type de débat.
Le début du voyage : Giannutri et Giglio
Nous sommes quatre pour cette aventure, Thierry Puyfoulhoux, Pascal Paoli, Eric Poiroux, Laurent Demai. Une voiture , quatre kayaks sur la galerie, et 700 km de route nous séparent du promontoire de l’Argentario où nous avons prévu de laisser stationner notre véhicule. Nous chargeons nos kayaks à la nuit tombante et nous installons pour une brève nuit sur une plage à proximité de Porto Ercole.
La première journée de navigation nous permet de rejoindre Giannutri, petite île où quelques maisons de vacance sont regroupées de part et d’autre de l’île, près des deux seules plages.
Nous débarquons à la cala Spalmadora et profitons de la terrasse d’un café sur la petite place du village qui surplombe la mer. Il ne semble pas y avoir de voiture sur l’île.
Une pancarte fixée à un arbre, dans un épais sous-bois, annonce les horaires et jours des messes célébrées en plein air pendant l’été. La tranquillité des lieux est seulement troublée par l’arrivée des visiteurs amenés depuis le continent par un navire à moteur. Ceux-ci ne resteront que deux heures et demie sur place et repartent avant la tombée de la nuit. Nous avons alors l’impression d’être seuls.
Le O6 juillet, à 7h00 nous entamons la traversée en direction de Giglio. Le phare que nous distinguons bientôt à la pointe extrême de l’île est un excellent amer. Nous longeons ensuite la côte granitique de cette grande île, si différente de sa petite voisine. Des voitures, beaucoup de plages privées, un port. Nous côtoyons les vacanciers sur la plage. Montecristo est invisible à l’horizon. Demain matin dès 05H00 nous serons sur l’eau pour l’étape qui doit nous permettre d’atteindre cette île hors du temps, située à plus de 30 milles nautiques des côtes corses et des côtes continentales italiennes.
Après Montecristo, remontée vers le nord en direction de Pianosa, Elbe et Capraia.
Notre trace, après Montecristo, s’oriente au nord. 18 milles nautiques séparent Pianosa de Montecristo. Nous avons omis de signaler aux autorités notre désir de dormir en chambre d’hôte. Les gardes de l’île se montrent intraitables. Le document en notre possession précise seulement que nous avons le droit d‘accoster et de stationner sur Pianosa. Les gardes réclament que soit explicitement indiqué l’autorisation de passer la nuit sur l’île.
Surtout garder notre calme. Parler italien est ici un atout important. Il nous faudra téléphoner à la Direction du parc pour obtenir qu’un fax soit envoyé sur Pianosa. Mais il est trop tard pour obtenir une chambre. L’île est couverte de tiques - et de moustiques. Nous essayons de dormir sur la cale du port abandonné mais jamais nous n’avons connu d’insectes aussi agressifs auparavant. Nous essaierons diverses solutions pour nous protéger de leurs attaques sans résultats avant que Pascal ne découvre, vers 01H00 du matin, une maison abandonnée qui a conservé ses moustiquaires intactes.
Nous quittons Pianosa sans regrets le lendemain matin pour ce qui sera la plus courte étape de notre voyage , en direction de l’île d’Elbe.
Depuis le départ nous n’avions croisé que quelques très rares chalutiers et quasiment pas de plaisanciers. Autour d’Elbe, puis entre Elbe et Capraia nous allons croiser une multitude d’embarcations. C’est l’été, il y foule. Nous effleurons à peine Elbe où nous passons la nuit à la pointe ouest de l’île. Nous ne ferons également qu effleurer Capraia en longeant seulement la portion de côte qui précède le port. Peu de plages pour accoster. Sur d’énormes rochers arrondis nous faisons une brève halte. Nous passons l’après-midi sur les quais et préparons notre avant-dernière traversée, longue d’environ 20 milles nautiques en direction de l‘île de Gorgona.
Il faisait encore bien sombre lors de notre embarquement en quittant la pointe ouest d’Elba, un moment d’inattention, une vague plus forte que les autres, et deux de nos kayaks se sont violemment heurtés. Dans la nuit il semblait ne pas y avoir d’avarie mais à l’arrivée sur Capraia nous constatons qu’un caisson est endommagé. La trappe de jour est remplie d’eau. Nous réparons avec un tissu adhésif.
A force de traîner près du port, des carabiniers soupçonneux viennent finalement contrôler notre identité et nous demandent d’expliquer à quoi servent tous nos équipements.
Vivement le petit matin pour quitter ces lieux où les kayakistes randonneurs paraissent si suspects aux yeux des autorités.
Gorgona
Dernière île que nous devons aborder, Gorgona est une île prison. Après nos déboires de ces derniers jours avec la police et les gardes forestiers nous ne savons pas précisément comment la police pénitentiaire va nous accueillir à notre arrivée. C’est grâce à une guide naturaliste, Mariella, qui encadre les rares visites guidées permises sur l’île que nous avons pu entrer en contact avec les responsables du centre pénitencier.
Nous déjeunons sur la cale du port de Capraia et partons avant le lever du soleil. Pour la première fois de notre périple, nous pouvons voir dès le début de la traversée, à plus de 20 milles nautiques de distance, le relief de Gorgona.
Pour cette île aussi nous avons dû annoncer il y plusieurs mois un jour précis d’arrivée.
Comme pour Montecristo, nous serons étonnamment là au jour dit. Comme pour Montecristo également c’est la conjonction d’une île étonnante et de la rencontre avec des personnages hors du commun qui feront de cette dernière escale un souvenir inoubliable.
Notre approche du port a été repérée. Un 4X4 descend lentement la petite route sinueuse qui mène au port. Sur la plage quelques familles avec des enfants. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agit de familles des gardiens venues leur rendre visite.
Le commandant de la prison vient à notre rencontre. Il a bien été informé de notre arrivée. Avons-nous mangé ? s’inquiète-t-il . Il nous invite à nous dépêcher d’accéder au réfectoire avant la fin du service du midi.
Nous le reverrons ensuite l’après-midi et il nous fera visiter une bonne partie de l’île. En peu de temps et avec peu de mots il saura nous transmettre son attachement à ce milieu naturel si préservé et une partie de sa profonde connaissance des lieux. Il nous expliquera également le fonctionnement de la prison et le régime de semi-liberté de certains détenus.
Nous dormons dans le bâtiment réservé aux hôtes de passage et quittons les lieux le lendemain pour naviguer vers Livorno. Des gardes, postés près du phare du port, nous surveillent et s’assurent que nous quittons bien l’île.
En chemin, nous croisons la vedette de la police pénitentiaire et , sur une mer d’huile en 5H30 de traversée, 18 milles nautiques plus loin, nous accostons dans le petit port d’une société nautique de Livorno où nous sommes accueillis bien gentiment.
Deux d’entre nous garderons les kayaks pendant que les deux autres, en bus puis train puis bus à nouveau mettront à peine 06 heures pour retourner chercher notre véhicule près de la plage de la Feniglia au pied du promontoire de l’Argentario.
Le lendemain matin nous sommes de retour chez nous.
Depuis lors plusieurs mois sont passés. La réussite de ce voyage nous semblait parfois tellement aléatoire lors de nos préparatifs qu’aujourd’hui encore notre succès nous semble étonnant.
De toutes les images aperçues, de toutes les visions de ces îles apparaissant si lentement à l‘horizon émergent le souvenir de Montecristo et de ses gardiens ainsi que celui de Gorgona et du commandant de la prison qui resteront à jamais gravés dans nos mémoires.
Kayakistes : Thierry Puyfoulhoux, Pascal Paoli, Eric Poiroux, Larent Demai
Article écrit par Laurent Demai